Histoire du pélerinage Saint-Jacques de Compostelle

Aujourd'hui l’un des trois plus grands centres de pèlerinage chrétien dans le monde, les chemins de Compostelle ont été également inscrits au Patrimoine de l’humanité par l’UNESCO en 1993... De la découverte du tombeau de Saint Jacques aux premiers pélerins, découvrez l'histoire du pèlerinage sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle.

 

Le contexte historique de la découverte

Après l’invasion musulmane de 711, le Nord de l’Espagne est contrôlé par un gouverneur nommé Munuza. Ce gouverneur exige des anciens seigneurs wisigoths retirés sur les montagnes le paiement des impôts (« jarai » et « yizia ») pour qu’ils puissent rester sur ses territoires. Les seigneurs des Asturies, avec le noble Pelayo à leur tête, se révoltent et refusent de payer les tributs imposés. Munuza demande alors des renforts à Cordoue ; ceux-ci arrivent, et affrontent les insurgés chrétiens. Une grande bataille a lieu en l’an 722 à Covadonga, dans les Picos de Europa ; la victoire des seigneurs chrétiens est totale (même si elle fut glorifiée par les légendes postérieures incluant même la participation de la Vierge…). Ce triomphe est considéré comme le début de la « Reconquista ». Les musulmans ne s’attaqueront plus à ce territoire qui devient le petit royaume indépendant des Asturies qui cherchera à continuer son expansion pendant les siècles suivants. Dans cette période initiale de la reconquête, l’un des plus importants rois du royaume Astur est Alphonse II, nommé « Le Chaste ». Son règne va durer près d’un demi siècle entre le 791 et 842 et il consolide la résistance au pouvoir de Al-Andalus. Il établit sa capitale à Oviedo où il bâtit des nombreuses églises et palais. C’est pendant son règne que va se produire la découverte du tombeau de l’apôtre Jacques le Majeur.

Cérémonie dans la cathédrale de Santiago de Compostela - ASchimmeck

 

La découverte

La découverte du tombeau de Saint Jacques, tout comme de nombreux épisodes de la vie et de la mort de l’apôtre, appartiennent plus au domaine de la légende et de la tradition qu’à celui de l’histoire. Vers l’an 813, un ermite nommé Pelay ou Paio, raconte à l’évêque Théodomire d'Iria Flavia (actuellement Padrón), avoir été guidé pendant la nuit par une étoile vers une montagne inhabitée où il a vu de mystérieuses lumières et pu entendre le chant des anges. Quelques paroissiens de la proche église de Solovio témoignent également avoir vu ces lumières. Théodomire, croyant à un possible miracle, décide d’accompagner Pelay pour voir de ses propres yeux ces phénomènes extraordinaires. Après trois jours de jeûne, ils se rendent sur les lieux... Et là, ils trouvent un mausolée avec à l’intérieur un corps décapité tenant la tête sous son bras. L’évêque reconnaît en cette dépouille celle de Jacques et considère cette identification comme une révélation divine. Deux autres corps trouvés sur les lieux sont identifiés comme ceux de Athanase et Théodore, disciples de l’apôtre, ceux-la même qui auraient embarqué son corps vers la Galice après sa mort.

Théodomire communique la découverte miraculeuse à son roi Alphonse, qui visite les lieux à son tour et ordonne la construction d’une église autour de ce « compositum » (cimetière) « supra corpus apostoli », (sur le corps de l’apôtre), et octroie des dons et des privilèges à ce temple. Cette première chapelle –dont les fondations ont été retrouvées lors de fouilles- deviendra avec le temps la grande Cathédrale de Santiago de Compostela. Le nom actuel du site, Compostelle, est discuté : pour certains il s’agit de « San Jacob de Compositum » ; pour d’autres cela vient du « campus stellae », champ de l’étoile, en référence aux mystérieuses lumières ayant guidé les découvreurs. Théodomire va déplacer à cet endroit le siège épiscopal et va s’y faire enterrer lui-même (sa plaque funéraire a été trouvée par les archéologues). L’empereur Charlemagne va avoir lui aussi connaissance des faits, et va très vite être tellement lié par la rumeur à ce site que certaines légendes épiques françaises vont lui attribuer directement la découverte ! Ceci donne une idée de l’importance de cet événement dans l’époque. Les fouilles archéologiques ont mis en évidence la présence d’une ancienne nécropole dans un castrum, possiblement d’origine celtique, puis romain, et utilisée tout le long de l’histoire -jusqu’à cette découverte- par différents groupes humains et religions. Sur la dépouille trouvée sur le site, aujourd’hui sous la cathédrale de Santiago, on n’a jamais effectué d’études anthropologiques sérieuses ; impossible de savoir qui il pourrait être en réalité. D’un point de vue scientifique et historique, il est fort improbable (pour ne pas dire impossible) qu’il s’agisse du corps de Jacques le Majeur. Même au sein de l’église actuelle, les deux derniers papes n’ont plus utilisé les mots « tombeau », ni « reliques » (en référence à cet enterrement) et ont préféré utiliser des expressions comme « mémorial de saint Jacques », et dire que la cathédrale de Compostelle « est liée à la mémoire de saint Jacques ».

 

Les reliques au moyen âge, moteur des pèlerinages

Le culte des reliques est à l’origine de grands et de petits pèlerinages depuis les premiers temps du christianisme. Le corps des saints –entiers ou en morceaux-, les vêtements, le sang, les instruments de martyre, tout ce qui a été en contact avec eux... est objet de vénération et porte des propriétés miraculeuses pour le salut de l’âme et souvent du corps. Les fidèles se déplacent de très loin pour être le plus près possible de ces objets matériels qui les mettent directement en rapport avec la divinité et qui les protégent contre le mal, le diable le péché ou la condamnation. Les premières basiliques, après les persécutions, sont bâties sur les cryptes où ont été enterrés des martyrs ; pour la consécration d’une église on met une relique dans l’autel... Les cathédrales et monastères prestigieux ont de grandes collections des reliques ; ceci attire les fidèles ; les visites et la réputation augmentent ; les dons aussi... Certains chemins qui relient les abbayes entre elles deviennent des chemins de pèlerinage plus ou moins importants qui permettent la visite des reliques. Il existe même des trafics de reliques… Ce contexte permet de comprendre que la découverte des reliques de Jacques, disciple direct de Jésus, et -d’après légendes et traditions- celui qui a évangélisé l’Espagne, a profondément ému et ébloui la chrétienté de l’Occident du Moyen Age.

Statue de la vierge noire, relique sur le chemin de Compostelle - LBello

 

Une théorie sur des origines plus anciennes

Le Chemin de Compostelle est orienté en Espagne d’Est en Ouest, suivant la Voie Lactée, et en fait, il est aussi nommé Le Chemin des Étoiles. Non loin du supposé tombeau de l’apôtre se trouvent les côtes torturées et déchiquetées du Cap Finisterre, le Finis Terrae, la Fin de la Terre... Là où d’après la tradition aurait accosté le bateau menant en Galice la dépouille de Jacques : un lieu considéré par certains comme le but ultime du Chemin. En fait, au Moyen âge c’était déjà un endroit très visité par les pèlerins qui continuaient la route depuis Santiago. La chapelle de Santa María das Areas, qui date de la fin du XIIème siècle en témoigne ; face à elle se situait l’hospice pour les pèlerins, fondé par le curé de la paroisse Alonso García en 1469. Le Cap Finisterre a été considéré depuis la nuit des temps comme un endroit magique et il a attiré plus tard l’attention des géographes et historiens gréco-romains. D’après la tradition, les romains auraient trouvé sur le site un autel consacré au soleil (Ara Solis), érigé par les anciens peuples habitant les lieux avant eux. Le Cap Finisterre était-il un lieu de pèlerinage où se rendaient déjà les peuples préchrétiens ? C’est plus que possible. Le christianisme se serait-il approprié ce lieu de culte et de pèlerinage antérieur pour l’adapter à sa doctrine ? Le Chemin de Compostelle serait-il la version chrétienne d’une ancienne route de pèlerinage ancestrale sur le Chemin des Étoiles ? Le doute est permis...

 

Saint-Jacques contre l'islam

Le grand prestige que donne la présence des reliques de Saint Jacques va aider les rois des Asturies à consolider leur position face à Al-Andalus et aussi à faire connaître leur lutte en Europe. Le roi Alphonse II et ses descendants font de l’apôtre le symbole de leur combat contre l’islam. En l’an 859, le roi Ordoño des Asturies, affirme avoir gagné la Bataille de Clavijo contre les musulmans parce que Jacques, le « Santiago Matamoros », est apparu à ses côtés pendant le combat. Cette intervention miraculeuse fait que Santiago devient le patron de la Reconquête et de l’Espagne. L’image de ce Santiago guerrier, sur son cheval, épée à la main, va se répandre tout au long du Chemin. On ne peut pas nier que la découverte des reliques se produit à un moment très opportun pour les récents royaumes chrétiens cherchant à se développer et agrandir leurs territoires. Cela va leur permettre de passer des montagnes où ils étaient confinés, aux plaines fertiles. Et ce n’est sûrement pas un hasard... La renommée du nouveau lieu saint grandit rapidement et  le roi Alphonse III fait agrandir la Cathédrale en 899. Celle-ci sera détruite en 997 par les invasions du chef musulman de Cordoue Al-Mansour, « Le Victorieux », qui –malgré tout et on ne sait pourquoi- respectera les reliques. La légende (encore !) raconte que les prisonniers chrétiens furent obligés de transporter les cloches de la cathédrale jusqu’à Cordoue. Deux siècles et demi plus tard, quand le roi Ferdinand III reconquiert la ville, elles sont ramenées à Santiago à dos des prisonniers musulmans. La Cathédrale de Santiago est reconstruite vers l’an 1000 par l’évêque Pedro de Mezonzo, et agrandie en plusieurs phases entre les siècles XI et XII.

 

Les pèlerinages

Godescalc, évêque du Puy en Velay, réalise en 950 un grand pèlerinage au tombeau de Saint Jacques. Il est considéré comme le premier pèlerin documenté, initiant une des plus importantes routes européennes : celle qui va du Puy à Santiago. Compostelle prend sa place parmi les grands points de mire de la chrétienté. Pendant le XIème siècle les pèlerinages s’intensifient grâce aux ordres religieux et aussi aux nobles et aux rois qui apportent de l’argent pour la construction des hospices, ces importants lieux d’accueil pour les pèlerins où ils pouvaient trouver tous les services, aussi bien matériels que spirituels. Ces hospices sont souvent construits dans des endroits stratégiques pour canaliser le flux des pèlerins en fonction d’intérêts politiques et économiques. Par exemple, le roi aragonais Sancho Ramirez fait construire au XIème siècle au Col du Somport l’hospice de Sainte Christine (« Unum Tribus Mundi », « l’un des trois les plus importants au monde ») pour faciliter le passage des pèlerins par Jaca –toute récente capitale du royaume- et faire de cette ville un important centre commercial et spirituel. De la même manière, l’hospice de Roncevaux guide directement les pèlerins vers la ville de Pampelune, capitale de la Navarre. Des ponts (éléments très importants sur la voie de Compostelle), des chapelles, des églises... sont également construits tout le long du chemin... Avec Rome et Jérusalem, Compostelle devient l’un des trois plus grands centres de pèlerinage chrétien dans le monde. Il va même rapidement se placer en tête de ces destinations. L’an 1033 est le millénaire de la mort de Christ, et Jérusalem va connaître un flux de pèlerins très important. Cependant cet élan est freiné par les invasions de l’Islam en Terre Sainte qui rendent ce pèlerinage difficile et dangereux. Même les croisades n’arrivent pas à ouvrir à nouveau l’accès aux pèlerins. Ceux-ci se rabattent donc sur d’autres destinations moins lointaines et risquées ... comme Compostelle !

Reproduction d'un dessin de pèlerins au Moyen-Âge - TVattard



En 1120, le pape Calixte II, proclame que les années Saintes ou Jacquaires (celles où le jour de la Saint Jacques, le 25 juillet, tombe un dimanche) les pèlerins obtiendront l’indulgence plénière. Celle-ci efface tout péché et permet au fidèle d’accéder directement au paradis à la fin de sa vie. Le pape Alexandre III confirme ce privilège à Compostelle en 1197... Si l’on tient compte du fait que l’année jacquaire arrive environ une fois tous les 6 ans à Santiago alors que les années jubilaires à Rome (donnant également indulgence plénière) n’arrivent que tous les 25 ans...  On comprend bien le succès des pèlerinages en Galice ! Vers l’an 1140, un religieux français, Aymeric Picaud écrit ce qui sera considéré comme le premier guide touristique, le « Liber Sancti Jacobi », pour les pèlerins  se rendant à Compostelle. Il s’agit d’une minutieuse description du Chemin, des villes et villages traversés ainsi que du caractère de ses habitants (avec un avis assez défavorable sur les habitants de l’Espagne). Y sont décrits les dangers, les distances entre villages, monuments et centres spirituels, les hospices, les bons et mauvais fleuves, etc. Il inclut également une description détaillée de la ville de Santiago de Compostela, ses monuments et ses reliques... L’itinéraire est découpé en 13 étapes, chacune d’elles divisée en plusieurs jours, avec une distance à parcourir d’environ 35 Km par jour à pied ou le double à cheval. Ce livre a été par la suite attribué au pape Calixte II par les moines de Cluny ; pour cette raison il est connu également en tant que « Codex Calixtinus ».

C’est l’âge d’or des pèlerinages à Compostelle ; une foule de dizaines (peut-être de centaines) de milliers de croyants empruntent le Chemin chaque année : à cheval pour les plus fortunés, à pied pour les plus pauvres, aidés par le bâton –utilisé comme appui et parfois comme arme contre les bandits- et la calebasse pour transporter l’eau. Ces deux éléments sont devenus les symboles du pèlerin, tout comme la coquille que les marcheurs porteront avec fierté à leur retour comme preuve de leur périple... Bien sûr, il n’y a pas que des hommes et des femmes pieux sur les chemins : la foule attire également des faux pèlerins que vivent de la charité d’hospice en hospice, des voleurs et des opportunistes ; jeu et prostitution sont aussi présents... Avec le temps, certaines peines de prison penvent être abolies en réalisant le pèlerinage. A l’inverse, si on est riche, on peut aussi payer quelqu’un pour faire le Chemin à sa place… et on obtient les indulgences qui vont avec !

 

Le déclin des pèlerinages

À partir du XIVème siècle, les pèlerinages à Compostelle entament un sérieux déclin à cause principalement des épidémies de peste qui ravagent l’Europe. Il faut rajouter à ça les famines liées à de mauvaises récoltes... En plus, à cette période là, les enjeux de la reconquête se sont déportés dans le Sud de l’Espagne où les musulmans restent implantés et où les royaumes chrétiens vont désormais consacrer toute leur énergie et leurs appuis, délaissant par voie de conséquence la partie Nord. 200 ans plus tard, Luther, entame une lutte contre les indulgences qui va être à l’origine de l’apparition du protestantisme. Il se déclare ouvertement contre les pèlerinages à Saint Jacques et les condamne en ces termes : « ...on ne sait pas si est enterré là Jacques, un chien ou un cheval mort... alors, n’y allez pas... ». Le succès des doctrines de Luther dans de nombreuses régions en Europe est un coup dur pour Compostelle. Puis, les reliques de Saint Jacques disparaissent. En effet, vers l’an 1590, le corsaire anglais Francis Drake menace de ravager Santiago de Compostela, de détruire sa cathédrale et de piller le tombeau de l’apôtre. L’évêque de Santiago, Juan de Sanclemente, décide alors de cacher les reliques de Jacques. Le problème c’est qu’il va mourir sans dire à personne où elles sont... Pendant les siècles qui suivent la décadence du Chemin s’accélère. Les chroniques racontent que le 25 juillet 1867, jour de la Saint Jacques, il n’y avait que quelques dizaines de pèlerins à Santiago de Compostela…

 

La redécouverte des reliques et l'élan des pèlerinages actuels

Alors que Miguel Payá y Rico est évêque de Compostelle, des travaux sont réalisés dans la cathédrale de Saint Jacques. Derrière l’autel principal, le 28 janvier 1879, les ouvriers percent une voûte et trouvent une urne avec des ossements humains. L’évêque pense immédiatement qu’il pourrait s’agir des reliques de Saint Jacques cachées par son prédécesseur, et envoie ces restes à l’université de Compostelle pour les faire analyser. La conclusion (peut-être un peu partisane, mais c’est compréhensible…) c’est que, effectivement, il s’agit bien de ces reliques. Le pape Léon XIII dans sa lettre « Deus Omnipotens » annonce au monde chrétien cette redécouverte. C’est le point de départ du renouveau du pèlerinage. Mais c’est vraiment pendant les dernières décennies du XXème siècle que le Chemin de Compostelle va connaître à nouveau un dynamisme sans précédent depuis l’âge d’or du Moyen âge. La recherche de spiritualité pour les uns, la possibilité de réaliser un long voyage à pied pour les autres, la richesse culturelle et architecturale de l’itinéraire liées à… une grosse campagne de promotion lancée par les régions traversées ont fait « boule de neige » sur le Chemin de Compostelle. La déclaration du Chemin de Compostelle comme Patrimoine de l’humanité par l’UNESCO en 1993 parachève les conditions de cette renaissance.

Pèlerine à l'intérieur d'une église sur le chemin de Compostelle, classée à l'UNESCO - TVattard

 

L'inscription du chemin de Compostelle au patrimoine mondial de l'Unesco

Après le classement de la vieille ville de Saint-Jacques-de-Compostelle en 1985 et le classement de la partie espagnole du Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en 1993, les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ont rejoint la prestigieuse liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO en 1998. Reconnu pour la diversité des itinéraires qui le composent, ce bien culturel en série regroupe 78 composantes (voir notre article les monuments jacquaires inscrits à l'UNESCO) – parmi lesquelles divers édifices et monuments individuels, des ensembles et des sections de sentier. Le classement des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle met en lumière la valeur universelle exceptionnelle des pratiques et rituels associés au pèlerinage entre le XI et le XVème siècle mais aussi la richesse architecturale et historique de l'itinéraire.

Texte rédigé par Gonzalo Lopez