Sylvain Tesson, à contresens
Ils ont fait Compostelle
Sylvain Tesson a traversé la France en diagonale. L’écrivain n’a pas, à proprement parler, pris son bâton de pèlerin, marchant sur ce qu’il appelle ses « chemins noirs ». Il s’est toutefois émerveillé, au fil de ses pérégrinations, devant les mêmes paysages que les « jacquets » ou les « miquelots » en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle ou le Mont-Saint-Michel. Et il les a magnifiquement décrits, au cœur de l’Aubrac comme à l’approche du littoral de la Manche. Une belle invitation à vivre l’aventure à son tour.
À pied, à cheval ou à moto, l'écrivain aventurier préfère les sentiers de traverse aux itinéraires balisés. Au cœur de la France, la seule force de ses jambes pour moteur, il les appelle les "chemins noirs". Sylvain Tesson a certes traversé l'Aubrac, mais pas sur la Via Podiensis. Il a rejoint le Mont-Saint-Michel d'où il a gagné Granville, mais sur son propre itinéraire, tracé entres les dunes, les genêts et les plages. Avec, sous les yeux, au détour d'un virage, les mêmes paysages que ceux que l'on aperçoit depuis les GR, décrits avec puissance et beauté sous sa plume de grand auteur du voyage.
Il parle comme il écrit. Chaque mot résonne avec justesse, comme si on l'écoutait lire l'un de ses livres. Ce mercredi d'automne, Sylvain Tesson présente le documentaire La Voie des glaces, consacré à une expédition à moto sur le lac glacé de Khövsgöl, en Mongolie. "J'ai traversé le paysage d'un coup de poignet", lâche-t-il avec un lyrisme retenu, "terrassé par la beauté du monde". L'aventurier porte le même blouson en cuir que celui avec lequel on l'a vu enfourcher sa Royal Enfield dans le film, noir, rayé de deux bandes orange. Toutefois, à Paris, le fils du journaliste Philippe Tesson et d'une mère médecin a noué une cravate sous sa carapace de cuir. Quelques jours plus tard, changeant encore de panoplie, le globe-trotteur voguera sur les flots bleus de l'océan Indien, au large de Madagascar, à bord d'un vaisseau de la Marine nationale en qualité d'écrivain de marine.
Et la marche, au milieu de tous ces moyens de locomotion ? Mettre un pied devant l'autre reste bel et bien l'une de ses façons d'avancer. Comme il l'a écrit dans "Sur les Chemins noirs", parus en 2016 (Gallimard), son itinérance à travers la France, une diagonale d'est en ouest, du parc national du Mercantour au falaises du Cotentin, du 24 août au 8 novembre 2015, l'a même aidé à réinvestir son corps perdu. C'était un an après sa chute du toit d'un chalet, un soir d'août 2014, près de Chamonix, chez son ami Jean-Christophe Ruffin, auteur d'Immortelles randonnée, Compostelle malgré moi. Tous deux partagent la même passion de l'alpinisme. "Il avait suffi de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne. J'étais tombé sur un tas d'os," relate Sylvain Tesson, également amateur de stégophilie, l'art de grimper sur les toits, voire sur les tours, de Notre-Dame ou de la Tour Eiffel.
Son voyage en image
« Marches d’ivresse »
Son itinéraire : pas vraiment les GR bien balisés, mais "par les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les village abandonnés". Sylvain Tesson a parcouru l'un des plus beaux décors de la Via Podiensis, l'Aubrac, qui "me projetait en souvenir dans les steppes mongoles", écrit-il. "C'était une terre rêvée pour les marches d'ivresse. Sur le plateau, je traçai une ligne droite, escaladant les clôtures (honte au Parisien !), traversant les troupeaux. Parfois, un bloc reposait, seul, au milieu d'un champ ou au sommet d'un mamelon. J'y voyais le dé d'un jeu mégalithique oublié par un géant. Ce n'était qu'un affleurement granitique. Même le velours des vaches captait gracieusement la lumière."
Ce géographe de formation est attiré par ces vastes territoires non connectés, qui ont échappé aux assauts de l'urbanisme et de la technologie. Il franchit les Monts du Cantal, où passe la Via Arverna au départ de Clermont-Ferrand. Sa boussole lui fera traverser, sans qu'il s'en aperçoive réellement, deux autres chemins de Saint-Jacques : la voie de Vézelay ou Via Lemovicensis, puis la voie de Tours ou Via Turonensis. C'est sur l'une des dernières étapes de son périple qu'une image va longtemps rester imprimée sur sa rétine. "La Sée marqua un angle, le Mont Saint-Michel jaillit au dessus des herbes. La stupa magique était là. Et des nuées de passereaux explosant dans l'air salé jetaient leurs confettis pour le mariage de la pagode avec la lune. C'était le mont des quatre éléments. à l'eau, à l'air et à la terre s'ajoutait le feu de ceux qui avaient la foi", narre-t-il. Sylvain Tesson ressent alors une émotion semblable à celle perçue des années plus tôt à l'approche de Lhassa, au Tibet, et au cœur d'un cimetière russe abandonné, deux occasions où "le paysage m'avait pris à la gorge". En route vers Granville, il ne cesse de se retourner pour se nourrir de la présence de ce roc, le long de la ligne littorale, où "tenir l'équilibre entre le ressac et le silence".
Depuis, entre l'Atlas marocaine ou le lac Baïkal, on le retrouve, dans son journal Une très légère oscillation, paru mi-2017, en train de crapahuter sur le mont du Salève, dans les plis du Comtat ou dans la forêt de Fontainebleau. Sans cesse en partance pour courir la France et le monde, à sa façon.