Ils ont fait Compostelle
Vincent, du Puy-en-Velay à Cahors
Vincent est parti à nos côtés en 2017 et a parcouru la Via Podiensis du Puy-en-Velay à Cahors. Il témoigne de son expérience sur cette première partie et ce qui l'a marqué sur le Chemin vers Compostelle.

"On part randonneur, on arrive pèlerin", dit un célèbre dicton, à propos du chemin de Compostelle.
Ça a "bien commencé" : nous avons raté la bénédiction des pèlerins à 7h du matin à Notre-Dame du Puy (en Velay). En route donc pour un périple à pied de près de 1 600 km en suivant d’abord le GR 65, la Via Podiensis, jusqu’à St-Jean-Pied-de-Port. Puis, après avoir franchi les Pyrénées à Roncevaux, le Camino Francés jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle.
Pourquoi le chemin vers Compostelle ?
À cette question, Ruffin (« Immortelle randonnée ») a répondu : « Je ne cherchais rien ; je l’ai trouvé ». Tesson, autre icône des randonneurs, propose l’idée que « marcher, c’est d’abord se tourner le dos » ; pour beaucoup, d’évidence, c’est faire... un pas de côté. Plus simplement, l’envie d’accomplir, la retraite venue et sans attendre plus longtemps l’usure des ans, un projet que nous souhaitions ne pas regretter de n’avoir pas fait à l’heure de mourir. Un projet né de la lecture il y a presque 45 ans du livre de Baret et Gurgand « Priez pour nous, à Compostelle », initiateurs de la vogue contemporaine d’un chemin de pèlerinage précédemment tombé en désuétude et aujourd’hui remarquablement balisé, qui voit passer jusqu’à 150 000 pèlerins par an (à Compostelle).
Entre randonneurs et pèlerins
Beaucoup de femmes, le plus souvent en petits groupes, quelques hommes, d’âge mûrs et souvent seuls, essentiellement européens sur le GR 65, plus souvent espagnols ou d’autres continents (américains, coréens...) sur le Camino Francés. Difficile d’en savoir beaucoup plus tant, tout le monde marchant dans le même sens, les rencontres sont moins fréquentes qu’on le dit.

De plus, nous avions choisi d’en faire une expérience conjugale, en partant à 2, dans des conditions que nous avons voulu aussi confortables que possible (péleriner n’est pas souffrir), en réservant à l’avance des hébergements individuels (chambres d’hôtes, presque toujours très accueillantes, en France), en demi-pension, avec portage de nos bagages par un transporteur. Via Compostela, dédiée aux chemins historiques et vers Compostelle, était le bon interlocuteur.
Une expérience esthétique et spirituelle
Expérience esthétique aussi tant les paysages traversés, peu peuplés sur cette « diagonale du vide » tendue de la Haute-Loire aux Landes, puis de la Navarre à la Galice, sont aussi divers que magnifiques ; expérience physique encore tant l’enchainement d’étapes, de 20 à 25 km par jour, use les articulations et les pieds. La performance reste toutefois à portée de tout bien-portant, au moins jusqu’à un certain âge, ayant plaisir à marcher régulièrement. Surtout si, comme nous, et comme la très grande majorité des pèlerins, on choisit d’effectuer le « voyage » en plusieurs fois, par tronçon d’une dizaine de jours.
Pour éviter les plus fortes affluences et la canicule, nous avons choisi de partir chaque année au début du printemps et de l’automne. Expérience spirituelle enfin qui nait de la méditation de pleine conscience que suscite la marche lente et régulière (en moyenne, 3 à 3,5 km/h), la visite d’églises romanes dont le dépouillement appelle au recueillement, avec l’émotion de mettre ses pas dans ceux des millions de pèlerins qui nous ont précédé depuis le Moyen Âge et qui ont creusé les marches de pierre de l’escalier de l’hostellerie de Conques...
Pourquoi Compostelle ? La réponse est dans le vent, qui, de Conques à Moissac, souffle sur l’Aubrac : « Le chemin t’apprend, à être un passant, sur terre un instant » (haïku lu à Nasbinals).
Des souvenirs marquants
Le chemin fut aussi une expérience gastronomique : la salade de pois chiches aux oignons rouges, les melons glanés à Lectoure, la fameuse garbure basquaise, les poulpes grillés de Galice… sans oublier le gouleyant Rioja. Des temps plus ou moins forts ou contrastés remontent à notre souvenir : à la messe des pèlerins d’un soir, la prise de bec entre des moniales en charge d’un accueil religieux et un officiant péremptoire ; dans une abbaye la projection sur le tabernacle d’un diaporama du conseil départemental ; à Cahors, la messe dominicale du soir présidée par l’évêque, en grandes pompes, devant huit personnes au premier rang de l’immense et magnifique cathédrale... qui a sûrement connu des jours de plus grande affluence.
Mais aussi, à Saint-Côme d’Olt, sur le bord du Lot, une émouvante communauté de sœurs aussi âgées que pieuses qui nous ont invitée à la célébration des Vêpres ; et à Navarrenx, bourg d’origine d’Henri IV, notre hôte d’un soir nous recommanda de ne pas manquer l’accueil proposé par une étonnante équipe, qu’on présume œcuménique, dans l’ancien temple devenu église du lieu : le « notre Père » récité par l’inattendu petit groupe de randonneurs transformés, un instant au moins, en pèlerins venus du monde entier, reste dans notre mémoire ; comme quelques jours plus tôt, à Las Cabanès, le lavement quotidien des pieds des pèlerins par le prêtre du lieu. Et puis, comment rester insensible au flamboyant baroque espagnol (Los Arcos) qui trouve son apothéose à Santiago : « Ultreïa ! », se lancent les pèlerins, cri d’exaltation, d’encouragement et de louange. »