La Via de la Plata

par Sylvain Bazin

Reporter outdoor, marathonien, bloggeur et grand voyageur, Sylvain Bazin a fait de sa passion son métier. Il parcourt les grands chemins du monde en courant et fait suivre ses aventures sur son blog. Après le chemin des 88 temples au Japon, la voie du Puy-en-Velay suivie du Camino Francés et de la Via Francigena, il prépare de nouveau son sac à dos pour retrouver les sentiers de Compostelle sur la Via de la Plata. Il partage avec nous son ressenti sur la Via de la Plata.

 

La préparation de la Via de la Plata

« Je vais bientôt m’élancer pour un nouveau parcours vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Le 28 de ce mois, je vais en effet partir de Séville pour relier Santiago, un gros millier de kilomètres plus loin, en suivant le tracé historique de la Via de la Plata. Pour moi ce sera à la fois un retour et une nouvelle découverte. Retour, car j’ai déjà marché vers Saint-Jacques, deux ans plus tôt, en suivant, depuis mon camp de base d’Aix-les-Bains, la Via Podiensis puis le Camino Francés, jusqu’au bout de la terre d’Espagne, le cap Fistera. Nouvelle découverte, car c’est donc sur un autre trajet que je vais courir et marcher cette fois-ci. Un tracé entièrement espagnol et qui me donnera l’occasion de découvrir des paysages nouveaux, car je ne connais que très peu les lieux de ce tracé.

Pont sur la Via de la Plata en Espagne - AdobeStock

 

Si peu que ce voyage sera sans doute plein de surprises. Je ne suis allé qu’une seule fois à Séville, le point de départ de cette Via de la Plata, Salamanque, un des grands points de passage du parcours, est pour moi un vieux mais agréable souvenir d’enfance, et enfin, bien sûr, je suis déjà allé à Compostelle. Tout le reste, pour moi, est Terra Incognita ! J’ai hâte de fouler ce chemin ancestral, qui garde sans doute de nombreuses traces de son passé et des hommes qui y sont passé, pour des raisons aussi bien spirituelles que commerciales.

La Via de la Plata est en effet une route très ancienne. Elle relie, par monts, par vaux et par plaines, les terres du sud de la péninsule ibérique au plateau cantabrique au nord. Les romains l’empruntaient déjà et construisirent la principale voie romaine d’Hispanie. Elle devient ainsi une voie commerciale et culturelle majeure. Ensuite, elle continuera d’être importante pour les arabes, lors de la conquête de l’Espagne, et pour les chrétiens. Elle est une voie de transhumance, ainsi que de pèlerinage vers Saint-Jacques à partir du moyen-âge. 

Bien entendu, cette importance économique, culturelle (le chemin est classé par l’Europe) et religieuse se retrouve encore aujourd’hui. Je vais rencontrer des édifices religieux, des ponts, des aqueducs et bien entendu des villes qui témoignent de ce riche héritage. Tant mieux. J’aime tant, dans mes voyages à pied sur les chemins de pèlerins, mettre mes pas dans ceux qui m’ont précédé et rencontrer aussi les traces de la spiritualité et de la créativité des hommes qui m’y ont précédé. C’est pour cela, ainsi que pour la diversité des paysages que ces grands itinéraires ne manquent pas de me donner, que j’aime trotter sur ces grands chemins. Mon premier voyage vers Saint-Jacques, qui inaugurait ma “série” sur les “grands chemins” (qui se poursuivra après cette Via de la Plata par d’autres itinéraires) m’avait enthousiasmé grâce à cette richesse, et j’aime m’inscrire dans cette continuité. 

Et puis, c’est vrai aussi, j’ai très envie de retrouver “l’ambiance du chemin”, cette douce itinérance où je n’ai qu’à me préoccuper de ma marche, de l’avancée permise par mes muscles, pour aller d’une étape à l’autre, et savourer l’instant. Courir de tout mon soûl, savourer l’étape, les pauses, les rencontres qui j’espère seront nombreuses. Rêver, m’interroger et penser aussi, en luttant contre le pessimisme et en me renforçant pour la suite. Adorer le voyage, vivre l’instant et aimer aussi l’idée du retour, du but à atteindre. 

Pour cela, cette Via de la Plata sera sans doute un excellent cadre. Les paysages seront sans doute parfois assez austères, de vastes étendues, parfois un peu sèches, où mes pensées pourront s’envoler. Des collines plus verdoyantes et des villages préservés, pour se redonner du courage, des villes, Salamanque donc mais aussi Ourense, Zamora ou Caceres, pour retrouver de la chaleur humaine, puis à la fin de mon parcours la belle Galice et ses montagnes, je vais sans doute avoir de bien belles vues dans mon regard et dans mon appareil photo. 

Je n’ai plus qu’à faire mon sac, qui sera léger, et à partir, pour courir, marcher, rêver et découvrir sur cette Via de la Plata, en pèlerin “moderne” que je suis devenu. »

 

Les impressions de Sylvain à mi chemin

A mi-parcours de la Via de la Plata, Sylvain partage avec nous ses impressions. Depuis Salamanque, après 12 jours de marche, il nous raconte son quotidien, ses rencontres et ses petits tracas de pèlerin express.

« Salamanque marque symboliquement la moitié de mon voyage vers Compostelle sur la Via de la Plata. Le pic de la Duena, juste avant, est réputé être le passage à mi-parcours. L’étape fut particulièrement longue et pénible car mes pieds ont souffert mais après 550 km de course dans des conditions météo pas toujours avantageuses cela n’a rien d’étonnant.  

Cette première partie de voyage a comblé mes attentes et la découverte fût belle

Cette première partie de voyage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, a comblé mes attentes et la découverte fût belle. Car, cette Via de la Plata m'a enchanté par de bien beaux passages même si elle réserve quelques passages un peu plus ingrats, avec des traversées de plaines un peu fastidieuses. C'est une Espagne gentiment vallonnée, bucolique à souhait qui s'est offerte à mes pas.

Dès la sortie de Séville, ou presque, j'ai traversé le beau parc naturel de la Sierra del Norte : une montagne aimable, semée de chênes lièges et de chênes verts, où paissent vaches et moutons. On y rencontre également des cochons, qui "produisent" le fameux "jamón ibérico" que l'on peut déguster dans les restaurants locaux. C'est une Espagne très rurale et agricole que j'ai traversée. Les cultures alternent avec les zones d'élevages. Bien entendu, ce sont ces dernières qui sont les plus agréables à traverser. D'abords parce qu’elle signifie souvent collines et doux paysages, mais aussi parce que la présence des animaux est toujours une source d'intérêt et de rencontres !

Cathédrale de Salamanca sur la Via de la Plata

 

Bien sûr, je n'ai toutefois pas rencontré que veaux, vaches et cochons sur mon chemin ; d'autres pèlerins font le parcours et j'ai souvent partagé quelques pas, un verre ou un repas avec eux. De petites sociétés de pèlerins se créent même au fil du camino, au hasard des rencontres et des rythmes de marche. Comme je vais "trop vite", je n'y suis que de passage mais cela n'empêche pas de beaux échanges, comme tout récemment lors de ma dernière étape avant Salamanque ou j'ai diné en compagnie d'une joyeuse équipe de Français et de hollandais. Ce sont souvent des pèlerins "expérimentés", qui marchent ici après avoir déjà fait route vers Saint-Jacques par des itinéraires plus habituels. Mais il est vrai que par sa beauté, sa diversité et sa richesse historique, cette Via de la Plata déprécierait sans doute quelques autres tracés si on l'effectuerait en "voyage inaugural".

« Ce sont souvent des pèlerins "expérimentés", qui marchent ici après avoir déjà fait route vers Saint-Jacques par des itinéraires plus habituels. »

Car le tracé m'a fait côtoyer la riche histoire de cette voie qui ne fut pas seulement spirituelle et religieuse. La "route de l'argent" fut aussi et peut-être avant tout une voie commerciale et c'est souvent dans le souvenir de l'ancienne voie romaine, que j'ai suivi très souvent, que nous cheminons. Les romains qui ont laissé bien des empreintes qui sont encore les joyaux du chemin : bien sûr les ruines de l'amphithéâtre et du cirque à Merida, mais aussi bien des ponts et le fameux arc de Capara, symbole de cette Via de la Plata, que l'on franchit également peu avant Salamanque.

Cela dit, c'est aussi et surtout l'Espagne d'aujourd'hui que j'ai rencontré, à travers l'Andalousie et l'Extremadura, la région qui a accompagné mes pas sur la quasi-totalité du parcours jusqu’aux environs de Salamanque. Une province qu'on sent tout de même fortement atteinte par la crise, mais qui n'a peut-être jamais été bien riche. Pour le pèlerin, c'est plutôt une aubaine : les prix des repas et des hébergements sont assez modiques, comparé à chez nous.

Le contraste ville/campagne m'a paru plus marque encore qu'en France. Dans les villages, l'accueil est sympathique mais un peu rude, la cuisine relativement simple. Il en va différemment des cités historiques, ou l'on peut déguster tapas recherches et spécialités. Mais je suis loin d'avoir encore compris toutes les clés pour apprécier pleinement l'Espagne.  

Je traverse maintenant la Meseta après Salamanque. Ce n'est pas la partie la plus excitante du parcours, et j'espère profiter tout de même de ses perles, comme la cite historique de Zamora, avant de retrouver les belles montagnes de Galice et me diriger d'un bon pas vers Santiago, si mes pieds et les éléments me le permettent ! »

 

L'arrivée à Santiago de Compostela

Après 24 jours de marche et un peu plus de 1000km parcourus, Sylvain est arrivé à Santiago de Compostela. Il nous fait part de la suite et fin de son aventure. 

« Me voici parvenu au terme de mon voyage. Après une belle dernière étape, un peu pluvieuse mais cela s’accorde bien avec l’ambiance celte et la nature verte de l’océanique Galice, je suis arrivé sur le large parvis de la cathédrale de Santiago de Compostela, là où tous les pèlerins du Saint-Jacques rêvent de venir, à pied, au bout de leur chemin. La forêt de tours et de sculptures de cet impressionnant édifice est certes un peu cachée par un échaffaudage, mais l’émotion est toujours aussi grande. Avec le sentiment partagé entre la joie d’avoir fait un beau voyage, et la crainte d’une nostalgie du chemin. Car je me suis senti si bien sur cette Via de la Plata, même si pour l’instant, le repos physique sera le bienvenu.   

« Avec le sentiment partagé entre la joie d'avoir fait un beau voyage, et la crainte d'une nostalgie du chemin »

Zamora m’a alors paru un oasis particulièrement agréable. Une belle ville, à taille humaine et assez peu touristique, une Espagne où les prix sont bas mais où les rues s’animent comme par magie après 18 h. Je tombe bien : la semaine sainte s’annonce et en ce “vendredi de douleur”, j’assiste, avec Ulrich, un pèlerin suisse rencontré la veille et avec qui j’ai eu des échanges très agréables, à une procession comme seule l’Espagne peut en offrir.

«  Cette Via de la Plata m’offre une plongée dans l’Espagne et sa culture, dans la réalité d’un pays aux traditions encore très vivantes »

Sylvain Bazin.

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